Dresser la discographie du chef russe Guennadi Rojdestvenski (1931-2018) disparu ce 16 juin (lire L’imprononçable géant) relève de la mission impossible. Tant il a abordé de répertoires, d’ouvrages, d’époques. Comme s’il n’avait jamais eu aucun frein à sa curiosité. Essayons d’en distinguer les lignes de force et les chemins de traverse.
Il faut d’abord dire qu’il est très compliqué de se repérer dans les multiples labels, éditions et rééditions qui ont publié notamment les enregistrements de la période soviétique. C’est encore plus vrai sur les sites de téléchargement…
D’abord les Russes, essentiellement ceux du XXème siècle.
Rojdestvenski donne des versions très chorégraphiques des trois ballets de Tchaikovski, et dans les trois dernières symphonies, il est plus élégiaque qu’épique, bien loin de la rigueur d’un Mravinski et du souffle d’un Svetlanov.
Admirable « live » de la BBC de La Belle au bois dormant
Il accompagne son épouse, Viktoria Postnikova, dans les trois concertos de Tchaikovski (avec l’orchestre symphonique de Vienne)
De Glazounov, il donne une première au disque de son oratorio Le Roi des juifs
Comme Svetlanov a préempté le grand répertoire symphonique russe pour les monumentales collections Melodia (voir Le monument Svetlanov) c’est sous des labels occidentaux que G.R. livre sa vision des grands symphonistes russes
C’est dans Prokofiev que Rojdestvenski que révèle le mieux sa fantaisie, son sens de la narration, de l’ironie, du sarcasme. Dans les symphonies, comme dans les ballets, dont il est le seul à avoir réalisé une quasi-intégrale, ses enregistrements sont des références.
C’est évidemment sa femme, Viktoria Postnikova, qu’il accompagne dans les concertos pour piano.
Et c’est toujours lui qui signa, tout jeune, une version qui fait toujours référence de Pierre et le Loup avec l’inoubliable Gérard Philipe en récitant, dans la version française.
L’autre grande affaire de la vie de chef de Rojdestvenski, c’est le lien très particulier qu’il entretient avec Chostakovitch, dont il révèlera toute une part méconnue de l’oeuvre avec une constance qui force l’admiration, ne se limitant pas aux symphonies, dont il réalisera une intégrale contrastée avec l’orchestre symphonique du Ministère de la culture d’URSS.
Ce double CD est une véritable mine : le Chostakovitch transcripteur, musicien de cirque ou de cinéma, de petits bijoux d’orchestration et d’humour, comme ce Tea for Two de Youmans, orchestré par le jeune Chostakovitch en moins de deux heures, ou ces polkas et valses de Johann Strauss irrésistibles.
Rojdestvenski sera le premier à graver les ballets sarcastiques du jeune Chostakovitch, encore plein d’illusions sur les lendemains qui chantent. Partitions savoureuses et colorées.
C’est encore G.R. qui réhabilite le premier ouvrage lyrique de Chostakovitch, Le Nez, inspiré du conte fantastique de Gogol, représenté en 1930 puis interdit jusqu’en 1974 !
Rojdestvenski est un partenaire de choix des deux solistes stars de l’URSS, Rostropovitch et Oistrakh.
G.R. assume crânement son soutien à de jeunes compositeurs qui sont bien éloignés des critères posés par l’Union des compositeurs soviétiques dirigée de 1948 à 1991 (!) par l’indéboulonnable Tikhon Khrennikov.
G.R. doit être un des rares Russes à avoir abordé les symphonies de Bruckner (qu’on trouve facilement en téléchargement, mais dans des éditions de très inégale qualité sonore !)
Sibelius convient bien à G.R., les grands espaces, les frottements harmoniques. Longtemps ses enregistrements sont restés méconnus.
D’autres grands symphonistes du XXème siècle, Nielsen, Enesco, Busoni, ont eu ses faveurs non exclusives !
Si l’on veut un aperçu de la diversité des goûts de Guennadi Rojdestvenski, le coffret Brilliant Classics est idéal
Enfin une rareté, mari et femme au piano dans un CD Brahms (Vox)
jeanpierrerousseaublog.com : L’imprononçable géant